123. SAUVIGNON ET COMPAGNIE

Même si l’on tient de côté la dispute qui, à propos de biturica dans l’antiquité romaine, tente de trancher entre les Bituriges Cubes, ceux de Bourges et les Bituriges Vivisques, ceux de Bordeaux avec en arrière-plan, l’idée de trancher entre ‘Sauvignon’ à Bourges et ‘Cabernet Franc’ à Bordeaux, il apparaît,  pour s’en tenir ici au seul nom sauvignon, qu’il demeure très difficile de trancher pour ce qui est du lieu d’obtention du cépage, y compris quand la documentation s ‘étoffe aux 18e et 19e siècles. En simplifiant les choses, la question simple est : le sauvignon est-il originaire du nord-est ou du sud-ouest de la France ?

À première vue, l’ascendance parentale du ‘Savagnin’, partagée par le ‘Sauvignon’ et le ‘Chenin’, telle que révélée récemment par la biologie moléculaire, est un argument pour une origine nord-orientale mais l’argument n’est pas suffisant car le deuxième parent du ‘Sauvignon’ reste inconnu.

La proximité lexicale entre  sauvignon et savagnin qui tous deux désigneraient des variétés soit proches des lambrusques, donc sauvages, soit de constitution robuste n’est pas d’une grande aide. On en dit autant de fier (du latin ferus, sauvage) présent chez Rabelais, qui aurait donné fié. Ces termes peuvent souligner une propriété partagée des plants, probablement leur  rusticité, mais n’ont pas de vertu classificatoire.

Le nom même de sauvignon semble être arrivé en Loire du sud-ouest alors que les noms principaux ligériens étaient, en gros d’est en ouest, fumé, blanc fumé (Nivernais, Berry) surin (Orléanais, Touraine,  Poitou) fié (Poitou, Touraine, Berry) lorsqu’on en a des traces concrètes et répétées, pas avant le 18e siècle. La multiplication des noms est un indice d’introduction ou de propagation ancienne, non une preuve de l’une ou de l’autre. Le nom sauvignon se relève d’ailleurs aussi dans la Loire à la fin du 18e siècle, dans les réponses très lacunaires faites à Dupré de Saint-Maur en 1783-84. Seuls l’Auvergne et le Berry sont présents, or la présence du nom sauvignon y est notée. Plus tard dans le 19e siècle, le noms sauvignon est très répandu mais cette diffusion n’apporte plus les mêmes informations car elle est contemporaine du début de l’uniformisation des vignobles et du choix des noms .

Les rapprochements multiples d’indices faibles tels /savagnin-sauvignon-Jura-Bourgogne-Orléanais / Loire-chenin-sauvignon-Rabelais-Touraine / Poitou-Anjou-Touraine-chenin-sauvignon / Loire-blanc-fumé-surin-fié / Sud-Ouest-sauvignon-Poitou-Loire / ouvrent la porte à des conjectures ou combinatoires presque infinies dont aucune n’emporte l’adhésion quant à l’obtention ou l’origine. De nombreuses hypothèses sont recevables qui ne dépassent pas le stade des hypothèses.

Sauvignon fait, de plus, partie des noms à large spectre positif qui à la fois autorisaient des comparaisons parce qu’ils étaient connus à la mesure de la diffusion du cépage et pour cette même raison engendraient des confusions. Le nom attirait et l’on dénommait sauvignon par proximité des raisins blancs qui avaient en commun d’être aromatiques, comme par ailleurs muscadet ou malvoisie étaient des noms utilisés pour divers autres raisins, eux considérés musqués, en sus d’être aromatiques.

Le choix du nom par les ampélographes du 19e siècle accentua le poids du versant occidental car le nom était plus unanimement retenu dans le sud-ouest où d’autres dénominations comme sauviot ou puinechon sont rares. Reste à déterminer si nom et cépage eurent une même trajectoire ou pas.

Qu’il s’agisse de l’Antiquité (biturica) ou de périodes plus récentes, jusqu’aux environs au moins de 1830-50, il conviendrait de ne pas définir les noms en usage comme comme ceux d’un cépage au sens univoque actuel du terme.  Ainsi que le disent plus justement l’archéo-botaniste Laurent Bouby et ses co-auteurs (2019), il s’agissait dans l’esprit des contemporains (de l’Antiquité à 1850) de  types variétaaux, ce qui évoque les termes anciens de famille ou de tribu, les termes actuels d’écogéogroupe ou de sortogroupe (voir art.14).  Il faut certainement pour ces époques, qui ont en commun d’etre pré-ampélographiques, procéder à  des regroupements fondés sur des propriétés gustatives partagées, plus difficiles encore à cerner parce que ne faisant plus partie de nos façons de classer les plants et surtout les raisins. Il reste un peu de travail à accomplir…

Laurent Bouby et al. 2019 – une archéologie des cépages. Les vignes cultivées dans le Languedoc romain
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123. SAUVIGNON ET COMPAGNIE

122. Du point de vue de l’historien

L’intérêt pour les cépages anciens ne fait que croître ces dernières années, ce qui est rassurant. Un peu partout,  vignerons et amateurs de vin manifestent leur intérêt pour des cépages diversement qualifiés : oubliés, modestes, patrimoniaux, rares etc.

Oeuvrer à réhabiliter Genouillet, Pineau d’Aunis, Grolleau, Orbois ou Lignage dans les vignes du Val de Loire est une chose, en retracer l’histoire une autre.

Les ampélographes depuis le 19e siècle, notamment les environs de 1850, ont promu l’identification et la dénomination unique et exclusive de chaque variété de la vigne cultivée (V. vinifera sativa), qualifiée de cépage.

Ce dernier terme nous est si familier, il a connu un tel succès du fait de sa précision et de sa commodité qu’on l’utilise de façon rétroactive, associé à tout nom ancien (pré-ampélographique),  sans le plus souvent procéder aux vérifications indispensables. En effet, ce faisant nous plaquons des réalités ampélographiques à des situations pré-ampélographiques car la plupart du temps avant 1830-1850 on ne pensait pas cépage mais produit : fruit ou vin et parfois derrière le vin, distillat ou vinaigre.

Lorsque l’on s’engage aujourd’hui dans des travaux à visée historique, sur un ou des cépages, il convient de se rappeler quelques principes ou règles :  

– Prendre ses distances avec le triptyque immortalité (d’ici et depuis toujours), table des grands (celle du roi de préférence), moines (qui ont oeuvré à la qualité du cépage). L’étude des cépages anciens conduit vite à l’esprit de clocher et plus, à l’identitarisme (cépages identitaires : ici et nulle part ailleurs) cf. n°103.

– Nous n’avons affaire le plus souvent qu’à des noms, car les variétés oubliées, rares… ont souvent disparu des vignes ; elles sont au mieux présentes en conservatoire, celui de Vassal par exemple.

– De très nombreux noms anciens (= pré-ampélographiques) étaient locaux et temporaires. Les noms stables et surtout généraux étaient l’exception.

– La même variété porta différents noms ; un nom s’appliquait à différentes variétés : pinot s’appela pinet, beaune, auvernat, orléans, noble, berligou… au fil de la Loire mais, par exemple à l’inverse pinet désigna le chenin puis les pinots dans le Berry. Cordelier gris ou griset en Auvergne désigna le pinot gris qu’a Orléans on appela malvoisie, et ailleurs aussi muscadet.

– un nom pouvaitt désigner le produit attendu plutôt que le plant ou le raisin. C’est le cas de muscadeau ou muscadet qui désigna longtemps des raisins blancs aromatiques tels le pinot gris, le chasselas et autres muscats.

– les synonymes sont une réalité ampélographique (une fois établis) et un obstacle au travail historien car ils figent la durée à partir du présent, la transforment en un bloc. Par exemple cot, cabernet franc et chenin sont des noms choisis et promus par les ampélographes du 19e siècle en lieu et place des nombreux noms anciens antérieurs qui ne sont donc pas des synonymes mais des antécédents.

– Les sources écrites, seul moyen de remonter le temps (jusqu’à la biologie molécumaire qui n’a pas terminé de nous surprendre et de nous alerter), ne sont pas homogènes chronologiquement, géographiquement et thématiquement entre 1400-1500 et 1850-1900. Il convient donc de contextualiser chaque occurrence d’un nom, et non seulement le nom.

– la multiplication excessive des intra-variétés entre 1780 et 1850-80 correspondit à une phase d’observation dans l’identification des variétés. Elle fut corrigée à partir des travaux d’Odart et surtout de Pulliat. C’est aussi un effet de source. C’est par exemple le cas pour cot rouge et cot vert, pour les diverses couleurs des  sauvignons hormis le blanc et le rose (ou gris), eux attestés comme stables.

– Les sources écrites, selon leur émetteur, apparaissent contradictoires. On ne peut se satisfaire d’un document pour décider d’un « cépage ». De nombreuses « variations », pseudo-variétés étaient dues au sol, à l’exposition et autres conditions culturales.

– A l’échelle pluri-séculaire, les silences documentaires sont nombreux, longs et délicats à interpréter ; par exemple, dans les vignobles ligériens,  le foisonnement des noms à partir de 1750 est un effet de source qui correspond plus à un intérêt nouveau  pour la botanique qu’à une période d’obtention de nouvelles variétés. Les variétés qui font alors leur apparition  dans la documentation sont plus ancienne sans que l’on sache de combien. C’est le cas de pineau d’Aunis, grolleau, genouillet et bien d’autres…

– Une date d’apparition, un lieu d’apparition doivent donc être traités avec circonspection. Ils annoncent rarement la véritable origine chronologique ou géographique d’un cépage. Ils correspondent au début de la documentation.

Dans les travaux que nous avons conduits dans le cadre de CepAtlas (université de Tours 2020-2022), nous avons relevé pour la France, entre 1783 et 1910, plus de 31000 occurrences de noms, ce qui montre l’ampleur du travail à faire à partir de la documentation existante et les précautions à prendre.

https://cepatlas.huma-num.fr/

122. Du point de vue de l’historien

121. de Gascogne, le Gascon ?

Le nom Gascon pour désigner un cépage noir n’apparaît dans les textes qu’au début du 19e siècle, cultivé dans le Loiret puis dans le Loir-et Cher.

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Aujourd’hui, le cépage nommé gascon, probablement obtenu en France septentrionale d’après son profil génétique, présente des grains de petite taille (Pl@ntGrape). Justifier son obtention dans le Loiret car les premières mentions renvoient à ce département n’est pas un argument décisif. Il a pu beaucoup voyager auparavant. D’ailleurs, déjà en 1785, Secondat dans sa liste de plants bordelais faisait allusion au Gascon à Orléans, simplement parce que ce nom, parmi les rares étrangers à la Guyenne  qu’il mentionna, évoquait la Gascogne ; il lui trouva, à l’emporte-pièce, un équivalent local de faible qualité dans la petite parde. Cette origine géographique gasconne est plus que douteuse, ce que releva Pierre Rézeau dans son Dictionnaire des noms de cépages de France. Aujourd’hui, le Gascon  a pratiquement disparu des vignobles ligériens et le nom demeure énigmatique.

Je propose d’envisager une étymologie  autre que géographique au nom Gascon, laquelle renvoie au Moyen Age.

Dans le Dictionnaire de l’ancienne langue française de Godefroy, les entrées suivantes sont distinguées :

– Gascognois, gascongnois :  gascon, de Gascogne

– Gascongne : grosse cerise

– Gascongnier : sorte de cerisier

Pour les deux derniers vocables, Godefroy cite  Du Guez, An introducorie for to lern to spek french trewly à la suite de Palgrave leclaircissement de la langue françoise, ouvrage paru en 1530 à Londres. Ces travaux constituent la première grammaire française publiée.

En 1530, le vocable gascongne se trouve mentionné p.1073 (par erreur 1078 chez Godefroy)  dans un chapitre bilingue intitulé the communication at souper qui traite des mets :

« Mais de touttes viandes [viande signifiait nourriture], la plus dangereuse est celle de fruits cruds comme cherises, guingnes, gascongnes, freses, framboises, moures, cornelles, prunes, chastaines nuttes, nois franches, grosses nois, cerues [cernes ?], mesles, pommes, peres, peches, melons, et touttes aultres espèces de poires, pesches, melons, concombres… »

Ce nom gascongne pour une variété de cerise parmi d’autres  en 1530 ne se retrouve ni dans le dictionnaire bilingue de Randall Cotgrave de 1611, ni dans la liste des espèces ou sortes de cerises ou de griottes de Jean Merlet dans l’édition de 1690 au chapitre IV de l’Abrégé des bons fruits.  En revanche Merlet précise p.14 que des Guindoux furent introduits dans les jardins septentrionaux depuis le Languedoc, la Gascogne et le Pays d’Aunis.

Cette façon de nommer une  variété probablement nouvelle de raisin, en procédant à un emprunt à un registre autre que celui de la vigne pour rendre identifiable le fruit produit, renvoie au Moyen Âge et aux premiers noms métaphoriques (frumenteau, morillon…).

L’hypothèse que je présente ici est la suivante : Ce cépage nouveau, obtenu dans un vignoble septentrional, avait pour particularité que ses fruits ressemblaient à une cerise particulière et bien identifiée nommé gascongne. Le registre utilisé, probablement à la fin du Moyen Age, était donc métaphorique et non géographique. Gascon, dans la forme retenue plus tard, ne renvoyait pas à la province mais à une cerise.

Il est par ailleurs tout à fait possible que la variété de cerise utilisée comme image soit, elle, venue de Gascogne et en ait conservé le nom ou le souvenir qui exprimait l’introduction d’une variété particulière depuis « l’étranger ». Toutefois,  ce qui fit choisir ce nom pour un cultivar de vigne nouveau était la ressemblance entre les fruits et non la provenance.

Appliqué à un raisin, le nom est probablement médiéval. Il a subsisté à titre résiduel en changeant d’explication lorsqu’il s’agissait de vigne ; en revanche il a été remplacé pour ce qui était des cerisiers après 1530 puisqu’il est absent au siècle suivant.

Par la suite, philologues et historiens, en appliquant la technique de l’étymologie spontanée, érigèrent gascon = de Gascogne, comme ils établirent auxerrois = d’Auxerre (voir #97) ou auvernat = d’Auvergne (voir #63), ou encore bourdelas = de Bordeaux, etc.

121. de Gascogne, le Gascon ?

118. Les principales espèces cultivées dans le Maine-et-Loire en 1866

Voici ce que l’on peut lire dans la synthèse rédigée pour  le département du Maine-et-Loire dans l’enquête nationale agricole de 1866, la dernière des grandes enquêtes dans lesquelles il fut deùandé aux personnes interrogées de préciser la liste des cépages en usage

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Notons que le point de vue se situe à Angers.

« Les vignes s’étendent sur les deux rives de la Loire jusqu’à Saumur. Elles sont en petite étrendue sur la rive gauche, jusqu’aux Ponts-de-Cé ; puis largement installées sur les deux rives, depuis les Ponts-de-Cé jusqu’aux limites du département, vers la Loire-Inférieure.

La culture a reçu peu de modifications, mais les difficultés de faire bêcher les vignes ont porté quelques propriétaires à essayer les plantations et la culture à la charrue, ceci n’est guère applicable qu’en plaine ou dans les pentes légères, notamment dans le vignoble de Bourgueil.

Quelles sont les principales espèces cultivées ?

Pineau blanc, cépage principal et naturel d’Anjou ;
Petit breton (carmenet sauvignon) importé du Médoc ;
Pineau noir de Bourgogne ;
Gamay de Liverdun ;
Et malin, récemment importé.
Certaiines personnes ont essayé d’introduire le raisin dit cot, et les petits cultivateurs tendent à importer le plant d’Auvergne qui donne un vin de mauvaise qualité.

Sur le Layon, le provignage est abandonné : on renouvelle par plantation directe.
Dans les arrondissements de Saumur et de Baugé, le provignage est encore la méthode la plus répandue. »

Source :  Enquête agricole, Enquêtes départementales, 2e série, 2e circonscription … ministère de l’agriculture…, Paris 1867.

Soulignons que cet écrit date de 75 ans après la création des départements ; le vignoble de Bourgueil, quoique en Indre-et-Loire, est toujours associé au Maine-et-Loire, c’est-à-dire à l’Anjou, ce qui a engendré l’expression locale Touraine angevine pour résoudre la contradiction.

Pour ce qui est des noms des « cépages » ou « espèces »
– Cabernet ne s’est pas encore imposé ; de même,  la distinction  franc ou sauvignon reste à préciser
– Pineau noir pour Pinot conserve sa graphie savante héritée du 17e siècle
– Gamay de Liverdun, plant de Mâlin ou plant d’Auvergne sont probablement la même variété
– Cot est un nom alors moderne imposé depuis peu par Odart.

Relevons aussi l’absence des noms Grolleau et Pineau d’Aunis (ou Chenin noir comme promu alors à tort par Odart).

118. Les principales espèces cultivées dans le Maine-et-Loire en 1866

116. D’énigmatiques plants et raisins « tendres » dans le Val de Loire

On trouve dans les sources d’archives des 18e et 19e siècles des mentions répétées de noms formés à partir de l’adjectif tendre et plus rarement d’un substantif dérivé attesté dès la fin du Moyen Age : tendrier.

Des mentions du nom Noir Tendre datent de 1783 et sont attachées à des envois de plants de ce nom depuis Selles-sur-Cher (Loir-et-Cher), La Châtre et Issoudun, dans le Cher.

Les mentions suivantes, du début du 19e s., proviennent des deux départements voisins, de nouveau le Loir-et-Cher (41) et l’Indre-et-Loire (37) . Ce sont des envois à Paris pour la collection de vignes du Luxembourg :
1804, Noir tendre  à Blois et dans le canton d’Oucques(41),
1806, Noir tendre à Saint-Aignan (41)
1808, Noir tendre en Indre-et-Loire (37)

Un Noir tendre est mentionné auparavant dans le Berry au 18e siècle, que j’ai, à tort, rapproché du Cot.

Dans le Loir-et-Cher, on pense à une opposition entre les noms Noir tendre et Gros noir, le second désignant des variétés teinturières et très productives de vins de faible qualité. Cette proposition est à manier avec la plus grande prudence car sont aussi au même moment mentionnés des auvernats tendres qui ne désignent pas des chardonnays ou pinots blancs (que l’on ne savait pas distinguer les uns des autres) mais des blanchetons, donc selon toute vraisemblance des plants de Folle Blanche, eux aussi très productifs de vins médiocres à l’image du Gros noir. Tendre n’est donc pas toujours une indication de qualité.

Tendrier (tendrié), plus rare, semble s’appliquer à des raisins blancs. Un Tendrier en 1808  à Chédigny (37) est dit du Poitou. En 1797 un blanc tendrier est mentionné en Anjou, et en  1804, un tendrier blanc dans le Maine-et-Loire

Un Fromentin noir ou Tendrier, variété de pineau, reçu du Cher est mentionné dans le catalogue de la collection du Luxembourg à Paris en 1809.

Enfin, Samuel Leturcq (Université de Tours) a relevé dans les comptes de la fin du 14e siècle (1385) du comte de Blois la mention de plantsblancs nommés tendrier.

Du Cher au Maine-et-Loire, Ce nomTendrier est certainement équivoque, d’usage imprécis, appliqué à des blancs et des noirs ; de plus tendre paraît être un qualificatif peu discriminant…

A suivre donc.

116. D’énigmatiques plants et raisins « tendres » dans le Val de Loire

115. Les noms des plants blancs à La Charité (sur Loire) en 1783

Dans l’enquête de l’intendant Dupré de Saint-Maur de 1783, les indications données dans le mémoire envoyé de La Charité’ sur-Loire (mémoire D66, Généralité du Berry) mentionnent à sept reprises des plants envoyés depuis la rive droite de la Loire, actuel département de la Nièvre, en Bourgogne.

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Ces noms sont Muscadet, Sauvignon, Blanc-Fumet, Gamet blanc ou Fromenteau, Gois Blanc, Petit Moreau blanc, Gros Moreau blanc, accompagnés des commentaires suivants :

Muscadet blanc – D66.5  : feuille large, longue et découpée, le grain rond, gros et jaune, la grappe longue et claire, abondant en vin. dur et bon, fait d’excellent vin à Pouly sur loire par ce qu’on luy donne le tems de murir.
Sauvignon blanc– D66.7 : feuille verte, large et ronde, peu découpée, grain gros rond, jaune, la grappe courte très serrée, donne peu, vin de la premiere qualité.
Blanc fumet – D66.12  : blanc, feuille verte, ronde, découpée, grain rond, petit, jaune, piqueté, serré, grappe courte et jaune, donne peu mais bonne qualité.
Gamet blanc ou fromenteau – D66.3 : feuille blanche, ronde et mince, dentelée, grain moyen, rond, blanc, serré, grappe verte et courte, abondant. vin de mauvaise qualité.
Gois blanc  #1 – D66.1 : feuille large, épaisse, decoupure ronde, grain blanc jaunatre, gros et rond, piqueté de rousseures. grappe blanche de six pouces de de longueurs, lache, mauvaise qualité de vin, donne beaucoup, gout aigre.
Petit Moreau blanc  – D66.8  : feuille blanche, ronde et petite, peu découpée, le grain petit, serré, rond et blanc, la grappe courte, donne peu. vin de bonne qualité.
Gros Moreau blanc  – D66.10 : feuille large, verte, peu découpée, grain gros rond, blanc, serré, grappe verte un peu allongée, donne beaucoup, mauvaise qualité. vin plat.

Peut_on identifier des cépages derrière ces noms ?

Muscadet blanc désigne très probablement ici le Chasselas comme le laisse penser l’allusion à Pouilly-sur-Loire. C’est déjà un nom résiduel qui renvoie à une réalité ancienne, lorsque muscadet s’appliquait à diverses variétés aux baies à forte teneur en sucre, pour la table ou la cuve.

Sauvignon et Blanc fumet désignent  la même variété  qui porte de nombreux noms vernaculaires

Gamet blanc ou fromenteau ne désigne certainement pas le Pinot gris, comme souvent en Champagne à cette époque, mais plus probablement ici le Melon, voire l’Aligoté. Cette question a déjà été abordée au sujet de fromenteaux à Saint-Amand-Montrond en 1741 (article 79).

Gois est l’une des multiples variantes du nom Gouais, médiocre mais très productif et très répandu dans les vignobles européens où il fut un géniteur majeur (voir l’article 102 pour les vignobles ligériens).

Petit et Gros Moreau blancs ne sont pas interprétables. L’origine du nom peut se trouver dans une variante du nom Samoireau (Saint-Moreau, Moreau …)  qui désignait des Côt ou de Moreau pour plant noir, par attraction. En effet, on utilisait parfois le nom d’une variété dominante dans une couleur pour désigner des plants qui, dans l’autre couleur principale (blanc/noir, noir/blanc), présentaient des caractères approchants (aspect du cep; de la grappe ou des baies, fertilité faible ou élevée, produit fini : « bon » à « mauvais » vin,  …)

115. Les noms des plants blancs à La Charité (sur Loire) en 1783

114. Côt rouge, Côt vert

Sous ces noms distincts, deux « variétés » du même « cépage » tiennent une place importante dans la tradition, jusqu’à nos jours.

Lire la suite: 114. Côt rouge, Côt vert

Dans l’introduction de Mille variétés de vignes Victor Pulliat écrivait en 1888 :« Autant que nous le pouvons, nous cherchons à débrouiller le chaos de l’immense nomenclature des cépages en en diminuant le nombre par l’application de toutes les synonymies que nous reconnaissons, en rejetant comme variété tout ce qui n’est que le résultat de la culture et de la sélection ; et tous les sujets qui n’ont pas des caractères bien fixes et bien tranchés. ainsi, dans la longue liste des Gamays à grains allongés, publiées par nos prédécesseurs, nous n’admettons qu’une seule variété, celle connue sous le nom de petit Gamay ou Gamay beaujolais. Tous  les différents plants obtenus par le choix des boutures ne sont pour nous que des améliorations et non des variétés.Il en sera de même de toutes les prétendues variétés qui auront une origine de ce genre.

A l’article Côt (p.93), voici ce qu’écrivait Victor Pulliat en appliquant le principe énoncé dans l’introduction  : « Les dénominations de Côt à queue rouge et de Côt à queue verte ne désignent qu’un seul et même cépage, ce sont deux variations de couleur sans persistance qui proviennent du sol et de l’exposition. »

Cette appréciation est reprise, confirmée et assortie d’une explication en 1960 par les auteurs qui, autour de Louis Levadoux,  rédigèrent la Synonymie ampélographique de l’Ouest viticole français (Artozoul et al.) :

« Cot vert : forme ou prétendue forme de Cot
[…]
Cote Rouge :  c’est le plus ancien nom du Cot dans le Sud-Ouest. Lorsque la Côte rouge croît dans des terrains fertiles, elle cesse d’être rouge et porte de ce fait le nom de Côte verte. »

Autre distinction erronée du même ordre,  à Libourne en 1784 dans  les envois à l’intendant Dupré de Saint-Maur (Mémoire D109.18), au sujet du Noir de Pressac, (nom local). L’observation est certainement avérée ; les conclusions qui en sont tirées, fausses :

« Ce raisin est de deux especes, on le distingue en queue rouge et en queue blanche, le premier est de gout très superieur et moins sujet au brouillard, l’un et l’autre font un vin noir et bon, lorsqu’ils sont melés avec d’autres sepages, mais seuls ils feraient un vin mat »

114. Côt rouge, Côt vert