Même si l’on tient de côté la dispute qui, à propos de biturica dans l’antiquité romaine, tente de trancher entre les Bituriges Cubes, ceux de Bourges et les Bituriges Vivisques, ceux de Bordeaux avec en arrière-plan, l’idée de trancher entre ‘Sauvignon’ à Bourges et ‘Cabernet Franc’ à Bordeaux, il apparaît, pour s’en tenir ici au seul nom sauvignon, qu’il demeure très difficile de trancher pour ce qui est du lieu d’obtention du cépage, y compris quand la documentation s ‘étoffe aux 18e et 19e siècles. En simplifiant les choses, la question simple est : le sauvignon est-il originaire du nord-est ou du sud-ouest de la France ?
À première vue, l’ascendance parentale du ‘Savagnin’, partagée par le ‘Sauvignon’ et le ‘Chenin’, telle que révélée récemment par la biologie moléculaire, est un argument pour une origine nord-orientale mais l’argument n’est pas suffisant car le deuxième parent du ‘Sauvignon’ reste inconnu.
La proximité lexicale entre sauvignon et savagnin qui tous deux désigneraient des variétés soit proches des lambrusques, donc sauvages, soit de constitution robuste n’est pas d’une grande aide. On en dit autant de fier (du latin ferus, sauvage) présent chez Rabelais, qui aurait donné fié. Ces termes peuvent souligner une propriété partagée des plants, probablement leur rusticité, mais n’ont pas de vertu classificatoire.
Le nom même de sauvignon semble être arrivé en Loire du sud-ouest alors que les noms principaux ligériens étaient, en gros d’est en ouest, fumé, blanc fumé (Nivernais, Berry) surin (Orléanais, Touraine, Poitou) fié (Poitou, Touraine, Berry) lorsqu’on en a des traces concrètes et répétées, pas avant le 18e siècle. La multiplication des noms est un indice d’introduction ou de propagation ancienne, non une preuve de l’une ou de l’autre. Le nom sauvignon se relève d’ailleurs aussi dans la Loire à la fin du 18e siècle, dans les réponses très lacunaires faites à Dupré de Saint-Maur en 1783-84. Seuls l’Auvergne et le Berry sont présents, or la présence du nom sauvignon y est notée. Plus tard dans le 19e siècle, le noms sauvignon est très répandu mais cette diffusion n’apporte plus les mêmes informations car elle est contemporaine du début de l’uniformisation des vignobles et du choix des noms .
Les rapprochements multiples d’indices faibles tels /savagnin-sauvignon-Jura-Bourgogne-Orléanais / Loire-chenin-sauvignon-Rabelais-Touraine / Poitou-Anjou-Touraine-chenin-sauvignon / Loire-blanc-fumé-surin-fié / Sud-Ouest-sauvignon-Poitou-Loire / ouvrent la porte à des conjectures ou combinatoires presque infinies dont aucune n’emporte l’adhésion quant à l’obtention ou l’origine. De nombreuses hypothèses sont recevables qui ne dépassent pas le stade des hypothèses.
Sauvignon fait, de plus, partie des noms à large spectre positif qui à la fois autorisaient des comparaisons parce qu’ils étaient connus à la mesure de la diffusion du cépage et pour cette même raison engendraient des confusions. Le nom attirait et l’on dénommait sauvignon par proximité des raisins blancs qui avaient en commun d’être aromatiques, comme par ailleurs muscadet ou malvoisie étaient des noms utilisés pour divers autres raisins, eux considérés musqués, en sus d’être aromatiques.
Le choix du nom par les ampélographes du 19e siècle accentua le poids du versant occidental car le nom était plus unanimement retenu dans le sud-ouest où d’autres dénominations comme sauviot ou puinechon sont rares. Reste à déterminer si nom et cépage eurent une même trajectoire ou pas.
Qu’il s’agisse de l’Antiquité (biturica) ou de périodes plus récentes, jusqu’aux environs au moins de 1830-50, il conviendrait de ne pas définir les noms en usage comme comme ceux d’un cépage au sens univoque actuel du terme. Ainsi que le disent plus justement l’archéo-botaniste Laurent Bouby et ses co-auteurs (2019), il s’agissait dans l’esprit des contemporains (de l’Antiquité à 1850) de types variétaaux, ce qui évoque les termes anciens de famille ou de tribu, les termes actuels d’écogéogroupe ou de sortogroupe (voir art.14). Il faut certainement pour ces époques, qui ont en commun d’etre pré-ampélographiques, procéder à des regroupements fondés sur des propriétés gustatives partagées, plus difficiles encore à cerner parce que ne faisant plus partie de nos façons de classer les plants et surtout les raisins. Il reste un peu de travail à accomplir…
Laurent Bouby et al. 2019 – une archéologie des cépages. Les vignes cultivées dans le Languedoc romain
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