11. Des plants bordelais en Anjou au Moyen Age

Peu de textes médiévaux font allusion aux plants utilisés dans la vigne. Dans presque tous les cas, le mot utilisé est « vigne » que l’on trouve très souvent dans des actes de la pratique qui rapportent le  don, l’échange, la vente d’une vigne à tel endroit. Quelques très rares exemples existent  (à ma connaissance). Ils valent d’être soulignés. Voici trois textes pour l’Anjou.

Rapportant une transaction datée de 1055, le premier texte est en langue latine et provient du cartulaire de l’abbaye Notre-Dame du Ronceray. Il mentionne une terre près d’Angers :

– En 1055 le comte Geoffroy Martel demandait aux moniales de Notre-Dame de lui concéder une terre à L’Onglée afin qu’il y plante de la (ou une) vigne bordelaise :
« Magne memorie Goffredus Martellus petiit a S. Marie sanctimonialibus dari sibi terram in Angulata, ad plantandum vineam Burdegalensem »

En langue française existent deux mentions du même ordre, de la fin du 13e siècle :

– En 1282 « Une pièce de vigne bordelèche sise à Beaumont » C. Port Inventaire sommaire … série G.

– En 1283 il est question de « Vignes sises à l’Extandeire qui sunt vulgaument appelées les Bordeleshes en la paroisse de Bazouges » C. Port Inventaire sommaire … série G.

Dans les trois cas, les vignes sont qualifiées de bordelaises. Les « Bordeleshes » correspondent à un lieu-dit, vulgaument signifiant en langue vulgaire, vernaculaire.. Cette façon de dénommer des vignes au sens de plants, à la manière dont on désignait les vins, précède l’utilisation de noms de cépages sous la forme de substantifs (par ex. vignes de pineau …).

Cette forme nouvelle forme de désignation apparaît au 15e siècle où le gentilé « bordelais » est substantivé :
En 1455, en Anjou, à Grattecuisse « ont esté veues les vignes en bon labeur […] en seppaiges de bordelais », ADML G100, cité par M. Le Mené (Les campagnes angevines à la fin du Moyen Age, 1982).
L’indication de la provenance des plants est, sinon une règle, du moins un usage très répandu, traduit d’ailleurs un peu plus tard dans les noms des cépages (par ex. Cot, Cors, Caux signifiant de Cahors).

La locution « vignes bordelaises » ou  « vignes de bordelais » signifient donc plants importés à une date inconnue mais pas récente depuis le Bordelais, y compris en 1055. Dans les quatre cas, ces plants bordelais paraissent bien identifiés et rien n’indique une nouveauté. Leur présence au Moyen Age en Anjou apparaît un fait banal, quoique discriminant. Ces vignes, ces plants se distinguent. L’identification par la provenance rappelle succintement les faits, dans un langage technique de praticiens.Soulignons aussi que la couleur des plants n’est pas indiquée ; elle n’est pas discriminante. Ce sont des vignes bordelaises, sans plus.

Peut-on aller plus loin ? Etablir un lien entre ces plants bordelais et le cépage rouge connu en Anjou, Saumurois et Touraine au début du 19e siècle, sous les noms de carmenet, carbenet, voire pineau,  ou breton  ?  Avec le breton de Rabelais  au 16e siècle ? Pour ma part, je me refuse à franchir ce pas. On manque de jalons entre ces mentions médiévales et le milieu du 19e siècle pour pouvoir être affirmatif. Bordelais, breton, cabernet n’offrent pas de filiation linguistique.  La filiation breton-cabernet s’appuie sur la répétition des noms, la filiation bordelais-cabernet est plus compliquée, d’autant que bordelais désigne par la suite divers cépages, dont des raisins à verjus.
De plus, les raisins de ces textes pouvaient être blancs ou noirs, voire mêlés, et représenter plusieurs cépages, voire être tous vinifiés en blanc …

Enfin, l’encépagement de l’Anjou a pu changer totalement entre le Moyen Age et le 19e siècle. La réputation des vins d’Anjou dès le Moyen Age reposait sur les vins blancs. De nombreuses mentions au 19e siècle font allusion à une progression récente de l’encépagement en raisins noirs en Anjou, notamment dans le Saumurois.

On ne peut exclure que ces plants bordelais aient été de diverses « espèces »,  peut-être blancs, peut-être mêlés blancs et rouges et, s’ils étaient tous  rouges, rien n’atteste leur identité avec un Cabernet.

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