121. de Gascogne, le Gascon ?

Le nom Gascon pour désigner un cépage noir n’apparaît dans les textes qu’au début du 19e siècle, cultivé dans le Loiret puis dans le Loir-et Cher.

Lire la suite: 121. de Gascogne, le Gascon ?

Aujourd’hui, le cépage nommé gascon, probablement obtenu en France septentrionale d’après son profil génétique, présente des grains de petite taille (Pl@ntGrape). Justifier son obtention dans le Loiret car les premières mentions renvoient à ce département n’est pas un argument décisif. Il a pu beaucoup voyager auparavant. D’ailleurs, déjà en 1785, Secondat dans sa liste de plants bordelais faisait allusion au Gascon à Orléans, simplement parce que ce nom, parmi les rares étrangers à la Guyenne  qu’il mentionna, évoquait la Gascogne ; il lui trouva, à l’emporte-pièce, un équivalent local de faible qualité dans la petite parde. Cette origine géographique gasconne est plus que douteuse, ce que releva Pierre Rézeau dans son Dictionnaire des noms de cépages de France. Aujourd’hui, le Gascon  a pratiquement disparu des vignobles ligériens et le nom demeure énigmatique.

Je propose d’envisager une étymologie  autre que géographique au nom Gascon, laquelle renvoie au Moyen Age.

Dans le Dictionnaire de l’ancienne langue française de Godefroy, les entrées suivantes sont distinguées :

– Gascognois, gascongnois :  gascon, de Gascogne

– Gascongne : grosse cerise

– Gascongnier : sorte de cerisier

Pour les deux derniers vocables, Godefroy cite  Du Guez, An introducorie for to lern to spek french trewly à la suite de Palgrave leclaircissement de la langue françoise, ouvrage paru en 1530 à Londres. Ces travaux constituent la première grammaire française publiée.

En 1530, le vocable gascongne se trouve mentionné p.1073 (par erreur 1078 chez Godefroy)  dans un chapitre bilingue intitulé the communication at souper qui traite des mets :

« Mais de touttes viandes [viande signifiait nourriture], la plus dangereuse est celle de fruits cruds comme cherises, guingnes, gascongnes, freses, framboises, moures, cornelles, prunes, chastaines nuttes, nois franches, grosses nois, cerues [cernes ?], mesles, pommes, peres, peches, melons, et touttes aultres espèces de poires, pesches, melons, concombres… »

Ce nom gascongne pour une variété de cerise parmi d’autres  en 1530 ne se retrouve ni dans le dictionnaire bilingue de Randall Cotgrave de 1611, ni dans la liste des espèces ou sortes de cerises ou de griottes de Jean Merlet dans l’édition de 1690 au chapitre IV de l’Abrégé des bons fruits.  En revanche Merlet précise p.14 que des Guindoux furent introduits dans les jardins septentrionaux depuis le Languedoc, la Gascogne et le Pays d’Aunis.

Cette façon de nommer une  variété probablement nouvelle de raisin, en procédant à un emprunt à un registre autre que celui de la vigne pour rendre identifiable le fruit produit, renvoie au Moyen Âge et aux premiers noms métaphoriques (frumenteau, morillon…).

L’hypothèse que je présente ici est la suivante : Ce cépage nouveau, obtenu dans un vignoble septentrional, avait pour particularité que ses fruits ressemblaient à une cerise particulière et bien identifiée nommé gascongne. Le registre utilisé, probablement à la fin du Moyen Age, était donc métaphorique et non géographique. Gascon, dans la forme retenue plus tard, ne renvoyait pas à la province mais à une cerise.

Il est par ailleurs tout à fait possible que la variété de cerise utilisée comme image soit, elle, venue de Gascogne et en ait conservé le nom ou le souvenir qui exprimait l’introduction d’une variété particulière depuis « l’étranger ». Toutefois,  ce qui fit choisir ce nom pour un cultivar de vigne nouveau était la ressemblance entre les fruits et non la provenance.

Appliqué à un raisin, le nom est probablement médiéval. Il a subsisté à titre résiduel en changeant d’explication lorsqu’il s’agissait de vigne ; en revanche il a été remplacé pour ce qui était des cerisiers après 1530 puisqu’il est absent au siècle suivant.

Par la suite, philologues et historiens, en appliquant la technique de l’étymologie spontanée, érigèrent gascon = de Gascogne, comme ils établirent auxerrois = d’Auxerre (voir #97) ou auvernat = d’Auvergne (voir #63), ou encore bourdelas = de Bordeaux, etc.

121. de Gascogne, le Gascon ?